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17
Avr

L’édition revenante.

C’est ainsi – un temps pour tout mais la fierté d’avoir un jour créé ce blog, qui sans être alimenté est resté dans les limbes numériques, en attente, qui sait, d’une inspiration et d’avoir à nouveau quelque chose à écrire. Ici n’a jamais été créé ou écrit pour faire l’actualité, n’a pas vocation à commenter chaque livre acheté ou chaque pièce vue: peut-être, la cultenews est simplement devenue un de ces greniers où l’on passe de temps à autre dépoussiérer l’ouvrage, déposer une malle de robes, s’asseoir pour rêvasser entre deux clichés poussiéreux. Aussi, cette édition « revenante » n’est pas une « reprise », mais une simple visite de courtoisie.

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Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le coeur d’une faible mortelle.

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Il faut patienter, trois longues heures, pour espérer entendre Phèdre enfin sortir de la bouche d’Isabelle Huppert. C’est pourtant le titre de la pièce mise en scène par Krzysztof Warlikowski. Le pluriel, indiqué entre parenthèses, Phèdre(s) donc, aurait dû mettre la puce à l’oreille:n’était-il pas là pour troubler? Les places avaient été réservées dès le mois de septembre – « C’est Warli! si on ne les prend pas tout de suite, on ne verra pas ». On a vu.

Malheureusement, il n’y avait rien à voir. Scénographie aussi sublime que les talons Vivier rose chair arborés par l’actrice, danseuse orientale au top de ses formes, rien à faire, rien n’accroche et tout se noie entre menstruations d’Aphrodite et blennorragie d’Hippolyte.

Il y aurait pourtant certainement eu beaucoup à inventer d’une réflexion sur la rencontre charnelle de l’humain et du sacré. Conditionnel imparfait des grandes questions qui fâchent: en plaçant le curseur du côté de la surenchère de porn sans que la grâce atteigne jamais le plateau – en dépit des efforts louables d’Isabelle Huppert – Warlikowski semble moins chercher le trouble que tenter le scandale. Il a pour lui un peu plus qu’un art de l’esbroufe car ses tableaux vivants s’enchaînent vite et (à part le troisième acte) sans trop bâiller. Il a contre lui que les textes choisis restent sans relief – ou que leur enchaînement en a affaissé le sens premier.  Le résultat est long comme un abonnement au théâtre du Rond-Point, et les tirades d’Elisabeth Costello  qui demande si Marie a joui en rencontrant le saint-Esprit, – au troisième acte, en une supposée incarnation contemporaine de Phèdre toute en métadiscours – ne feront rien de mieux pour animer la flamme. *

A la sortie, une jeune femme tendait une pétition pour exiger la résurrection de Luc Bondy.

* à noter un moment de grâce: la cultenews est d’accord avec la critique d’Armelle Heliot.

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Interlude

christophe

A l’opposé des fellations glacées de Warlikowski, c’était plaisant de retrouver Christophe. Il sera en concert à Pleyel pour quelques soirs à compter du 31/01/2017. Go, Crooner.

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Avant-première

Prendre de l’avance sur les spectacles parisiens est parfois simple comme un dimanche à Strasbourg, et c’est ainsi, l’air de rien, que la rédaction a pu assister à La Mouette, Tchekhov mis en scène par Thomas Ostermeier. Et bien, bonne pioche. La représentation a semblé encore un peu jeune, comme en rodage, voix des acteurs un poil crispante (à leur circonstance atténuante, c’était une représentation matinée), mais tout portait son lot de promesses, dont l’usage subtil de quelques chansons cultes et non des moindres.

C’est à Paris – et encore une fois à l’Odéon, du 30 mai au 25 juin 2016. Il est encore possible de réserver: suivre ce lien.

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الحب و الحياة في وقت قصير

Une édition pour Alex, qui m’encourageait à écrire, et pour les nombreuses personnes qui sauront se reconnaître et m’encouragent à apprendre un nouvel alphabet.
Nous tous, #NousSommesLeMonde, nous sommes #debout, et dans la divergence de nos opinions nous savons écrire que nous ne sommes pas résignés.

Une édition en pensant aux réfugiés et à tous les civils contraints de fuir leurs foyers, leurs théâtres, leurs universités, leurs bibliothèques, et parfois leur famille.

Une édition en pensant aux artistes exilés.

Une édition pour le droit à écouter n’importe quoi se dire sur scène, pour le droit à s’habiller n’importe comment, pour le droit à lire sans censure, pour le droit à parler en terrasse des cafés.

Une édition qui croit que l’art même mauvais vaut mieux que de se taire.

Le Web, trente ans de désert. La Cultenews, sept ans qu’elle te parle sans que tu aies rien demandé.

Every morn brought forth a noble chance
And every chance brought forth a noble knight,

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22
Avr

sous les pavés la grâce

 

Viola. Jordan. Sellars. Wagner.

 

Chanceuse,

Tu avais vu arriver ce week-end de Pâques comme un ennui quelconque, sans agneau ni hallot, sans enfant pour crier après les lapins. Tu n’avais pas anticipé qu’un ami chercherait quelqu’un pour l’accompagner, à la Bastille, alors tu t’étais pointée les mains dans les poches, en jeans et dans le pull d’un autre.
C’était un soir de Wagner. Lundi, 21 avril.

Philippe Jordan ouvre le bal et te ravit vers le Nirvana.

Avoue,
tu n’avais jamais, auparavant, vraiment écouté Tristan. La première fois, c’était pourtant Waltraud Meier et Daniel Barenboïm. Mais peu importe, cette fois-ci, c’est la grâce que tu touches. Dès les cinq premières mesures et trois images hypnotiques de Bill Viola, tu as chaviré et pendant cinq heures trente tu ne vas plus rien sentir couler d’autre dans tes veines qu’une tendresse cinématographique. C’est d’ailleurs une des grandeurs de cette version: la collusion de l’art lyrique et du technicolor.

Très vite, tu t’es laissé hanter par les anamnèses, mais surtout par Jean-Luc Godard et sa tragique histoire d’amour dans un décor merveilleux. Tu as sombré dans des rêveries où des cantatrices avançaient caméra au poing pour filmer un Gustav Mahler jaloux, reprenant sans cesse les premières notes de l’adagietto de sa 5e sans jamais parvenir à surpasser le maître. Ton voisin du 2e balcon a persiflé une phrase amusée à l’idée qu’avec Isolde, Wagner n’ait jamais voulu que chagriner Nietzsche avant l’heure. Il y avait sans doute un peu de toutes ces hypothèses, mais ce que tu préférais était quand même d’en rester à une histoire d’amour loin du monde, dans la nuit. Tout l’acte II s’est déroulé comme un charme – pas une longueur, pas une fausse note.

So starben wir
Habet Acht
O ew’ge Nacht

Et puis à l’acte III, tu prenais subitement la résolution d’apprendre à jouer du cor anglais.

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« L’art doit insister sur l’existence de cette vie intérieure qui ne passe pas à la télé, qui ne peut se vendre. Ça, c’est radical. L’art nous donne un peu d’espace, nous permet de rester à un niveau d’analyse et de découverte complexe, qui ne tombe pas dans la propagande. »

>>> pour lire la suite de l’entretien avec Peter Sellars et Bill Viola
avec Fabienne Arvers, Patrick Sourd et Philippe Noisette, c’est ici.

>>> Tristan und Isolde, sous la direction de Philippe Jordan,
ms. de Peter Sellars et décors de Bill Viola, est présenté à l’Opéra-Bastille jusqu’au 4 mai.

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Écoute, ce n’est pas fini,
si cette saison déjà bien entamée a été fort peu commentée sur le blog faute de temps, elle n’aura pas moins laissé une empreinte, à commencer par le quelque peu tétanisant Einstein on the Beach mais aussi Trisha Brown, ou comment prendre un espace immense comme le théâtre de la Ville d’un geste d’une main glissée entre deux rideaux de gaze. Il y eut, aussi, le mime hypnotisant d’Ann-Teresa de Keersmaeker lors des saluts après son duo avec Charmatz. Il y eut enfin les cuisses de grenouille de Josep Caballero, qui a raconté « sa » rétrospective pour le Nouveau Festival édition 2014 et le merveilleux Self Unfinished  de Xavier Le Roy. Des gestes infimes qui rappelaient combien être spectateur n’était pas un voyeurisme mais l’aventure d’un consentement: sans être soi-même artiste, gagner le droit à être là, physiquement.

Du droit à être artiste, il est question auprès du très cher hétéronyme Philippe Thomas, décédé en 1995 qui fait l’objet d’une rétrospective au MAMCO avec L’Ombre du jaseur (jusqu’au 18 mai). Philippe, si tu m’entends, ça fait bientôt vingt ans que je promène une œuvre de ton agence. Vu son format c’est à chaque nouvel escalier comme si tu m’avais légué ta croix de vouloir devenir un auteur sans savoir comment en faire un nom. Alors, oui, peut-être, il faudrait déménager moins souvent.

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Remerciements particuliers à Mathieu & Cyril.
Une édition à la mémoire d’Yves, joueur de hautbois.